En réalité, l’attention médiatique autour du Diable a contribué à mettre en avant le personnage et à le présenter comme “le” personnage emblématique de la Ducasse d’Ath. Toutefois, il est utile de rappeler que pour beaucoup d’Athois à l’heure actuelle, la Ducasse est avant tout une fête qui met en avant la tradition des géants. Les festivités durent plusieurs jours et le cortège du dimanche constitue le moment le plus suivi par la population. Lors de ce cortège, on assiste au défilé de 7 géants accompagnés par leurs fanfares, de huit chars allégoriques et de plusieurs centaines de figurants.  

En conclusion, le personnage du Diable n’est qu’un figurant, qu’un élément parmi tous les autres et bien qu’il occupe une place particulière dans le cœur des Athois, c’est avant tout son évolution à travers les âges et les liens qu’il a créés avec la population locale qui l’ont rendu indissociable de la Ducasse d’Ath. 

Les discussions prennent du temps car elles imposent aux membres d’entendre et de comprendre les différents points de vue, notamment ceux exprimés par des personnes extérieures aux traditions locales. Or, on sait que les fêtes traditionnelles comportent des usages qui apparaissent comme normaux aux yeux de la communauté mais étranges à ceux qui n’en font pas partie. La raison est que les communautés locales développent des codes pour interpréter leurs traditions qui ne sont pas compris par les personnes extérieures.  

La communauté locale est la seule à assumer la responsabilité de son patrimoine immatériel ; c’est donc à la population locale d’apporter sa solution. C’est pour cette raison que les autorités communales en charge de l’organisation de la Ducasse ont confié la tâche d’ouvrir le dialogue au monde associatif et ont décidé de mettre sur pieds une Commission Citoyenne du Folklore. Celle-ci doit rendre un avis sur la problématique qui entoure le personnage. Toutefois, il est important de comprendre que le processus démocratique prend du temps et nécessite d’aboutir à une solution qui respecte les traditions sans pour autant porter préjudice aux autres communautés.  

Pour les Athois, le Sauvage n’est pas et ne représente pas la Ducasse d’Ath. Toutefois, il est devenu, au fil des générations et de ses interactions avec le public, un personnage emblématique très apprécié et porteur de valeurs positives. 

A travers les yeux d’un Athois, le Sauvage est, par sa théâtralité, un personnage imaginaire et fantastique qui n’existe qu’au sein de la Ducasse d’Ath et qui est toujours accompagné des Pêcheurs napolitains. Certains l’appellent d’ailleurs plutôt le « Diable » (ce qui renforce le côté fantastique). C’est un personnage fédérateur, un personnage animateur, un vrai leader qui peut faire peur aux plus jeunes. Apprivoiser le “diable” est devenu un rituel de passage ; certains enfants lui offrent leur tétine pour attester qu’ils dominent leur peur. Ces tétines sont d’ailleurs accrochées sur le mât de la Barque des Pêcheurs.  

Lors des jours de Ducasse, les Athois réclament un baiser du Sauvage. La trace du grimage est affichée fièrement car elle représente une promesse du bonheur et de chance, offerte par le personnage. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des Athois courir pour lui demander ce baiser porte bonheur. 

Non. Au début du 20e siècle, le personnage a évolué dans le cortège de la Ducasse d’Ath en développant un jeu très spectaculaire : interaction avec ses gardes, il fait mine de s’enfuir, exagération (certains textes rapportent que le figurant mange un lapin cru). A cette époque, il reçoit notamment le surnom de « Dégoudant » (le « dégoutant »). En pleine période coloniale, il ne faut pas nier que le personnage est dès lors parfois confondu avec un Africain, ce qui n’est pas sans poser de problème. En 1945, la présence de soldats afro-américains à l’occasion des festivités de la Ducasse crée un malaise auprès de l’autorité communale. Le collège échevinal exige que le personnage soit « bariolé sur fond jaune-brun ». Un débat surgit à nouveau dans le courant des années 1960, à une époque où les étudiants africains ne sont pas rares à l’École d’Agriculture d’Ath. 

C’est à partir des années 1960 que la perception du personnage du Diable a évolué vers l’image qu’il a aujourd’hui grâce à l’abandon des aspects les plus contestables. Une nouvelle relation s’est nouée avec le public. L’apparition d’une transmission familiale n’est sans doute pas étrangère à cette évolution. Après une difficulté de recrutement (et notamment l’organisation d’un « examen » en 1951), on assiste à une certaine stabilité dans la représentation du personnage. 

Si à l’origine, le personnage apparu en 1873 représente le stéréotype d’un Amérindien issu de l’île imaginaire de Gavatao dans les Caraïbes (peau noire, pagne, coiffe à plumes, massue et anneaux), il est aujourd’hui accusé d’entretenir les stéréotypes racistes envers les populations africaines ou afro-descendantes.  

Pour les personnes extérieures à la tradition, l’association entre son nom – Le Sauvage –, son attitude – le rôle qu’il joue sur la Barque –, et certains de ses attributs – sa couleur noire, son anneau au nez et ses chaînes –, est incompréhensible et glorifie la période coloniale en perpétuant l’image que les Noirs sont des sauvages simples d’esprit. D’ailleurs, la communauté athoise comprend que la scène de la barque des Pêcheurs napolitains peut choquer si elle est prise au premier degré. 

Suite à de nombreuses plaintes adressés à l’UNESCO, l’organisation internationale a d’ailleurs décidé lors du Comité intergouvernemental de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel du 2 décembre 2022, de retirer la Ducasse d’Ath de la Liste représentative de l’UNESCO dont elle faisait partie depuis 2008.  

C’est d’abord le groupe qui est apparu vers le milieu du 19e siècle, à une époque durant laquelle le cortège de la Ducasse est marqué par deux phénomènes. Il y a tout d’abord un fort sentiment nationaliste qui contribue également à renforcer l’identité urbaine. En 1850, le vieux géant Tyran est ainsi transformé en Ambiorix pour célébrer un héros national. La même année, le Char de la Ville est créé pour transporter les personnages célèbres de l’histoire locale. En 1880, le Char des Neuf provinces célèbre les 50 ans de la jeune Belgique. Le deuxième phénomène est l’intérêt pour l’exotisme. En 1850, on voit apparaître les chars des Indiens, des Écossais et des Chinois, aujourd’hui disparus. D’autres groupes du même type défilent également dans d’autres cortèges, notamment à l’occasion des cavalcades carnavalesques.  

L’apparition de la Barque des Pêcheurs napolitains en 1856 s’inscrit dans ce contexte. Le groupe est créé par une association, les Matelots de la Dendre, qui s’est fait connaître en organisant des spectacles, essentiellement des opéra-comique et des opérettes. La « barque » évoque probablement un opéra de 1827, « Masaniello ou le pêcheur napolitain », qui met en scène un héros révolutionnaire du 17e siècle. 

Le personnage du Diable apparaît plus tardivement en 1873. À l’origine, il ne représente pas un Africain, mais bien un Amérindien issu d’une île légendaire de Gavatao (qu’on pourrait situer dans les Caraïbes). Il s’agit en effet d’une représentation stéréotypée d’un Amérindien (peau noire, pagne et coiffe à plumes, massue, anneaux) telle qu’on peut la retrouver dans de nombreuses illustrations depuis le 17e siècle. D’autres exemples de cette représentation stéréotypée existent dans des festivités traditionnelles : le géant l’Indien à Dendermonde, ou les gardiens qui escortent le Bœuf gras lors du carnaval de Paris. 

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